Véritable invitation au voyage que ce vol caractéristique « en V » d’oies cendrées, dans le ciel tourmenté de novembre. Que de paysages sublimes survolés par ces infatigables navigateurs suscitant à la fois une grande fascination et d’innombrables interrogations. Quelle raison peut motiver, deux fois par an, un si long voyage entre le continent européen et le continent africain, pour plus de la moitié des espèces d’oiseaux d’Europe, quatre-vingt-dix espèces quittant notre territoire français à l’automne pour y revenir au printemps ? Le phénomène migratoire est bien plus important qu’il nous apparaît. En réalité, ce sont plus de deux milliards d’individus qui effectuent «le grand voyage».
Pour comprendre le processus, il nous faut faire un retour de 15 000 ans dans le passé. Au début du quaternaire, l’Europe centrale et septentrionale était recouverte d’une épaisse couche de glace au cours de la dernière glaciation. Notre paysage ne ressemblait en rien à celui que l’on connaît aujourd’hui. L’eau gelée empêchait toute germination de graines, donc pas d’arbre et très peu de végétation. Le paysage d’alors était du type toundra arctique. Le réchauffement progressif provoquant le retrait des glaces plus au nord, la végétation reprit tout naturellement ses droits pour regagner du terrain. Certaines espèces d’oiseaux prolifiques, soumises à une forte compétition avec les autres espèces, saisirent l’opportunité de conquérir ces nouveaux espaces pour y trouver en abondance la nourriture et y élever leur progéniture. Au fur et à mesure du retrait des glaces, la distance s’est accrue entre les zones de nidification et les zones d’hivernage. Les distances parcourues de plus en plus longues entraînèrent une mortalité élevée. La migration n’était donc intéressante pour nombre d’espèces que si le taux de mortalité qu’elle entraînait était moindre que celui provoqué par la famine l’hiver sur leurs lieux de reproduction.
Les distances parcourues sont impressionnantes et atteignent allègrement les dix mille kilomètres pour les espèces européennes rejoignant l’Afrique. La migration touche des espèces diverses allant du très grand, telle que la cigogne ou la spatule blanche, au tout petit comme les pouillots ou roitelets. Si l’on prend pour exemple le pouillot véloce pesant quelques grammes, sa vitesse de vol n’excède pas quarante kilomètres par heure. Sachant que la traversée de la Méditerranée et du Sahara représente plus de deux mille cinq cent kilomètres, ce sont donc plus de soixante-dix heures de vol sans escale que doit effectuer l’oiseau pour atteindre sa destination ; incroyable !!!
De quel carburant disposent-ils pour réaliser un tel exploit ? Certaines espèces, avant le grand départ, parviennent presque à doubler leur poids et stockent de la graisse. La consommation de cette graisse au cours du vol dégage la quantité d’eau nécessaire à ces voyages sans escale. Un exemple hors du commun : la Sterne arctique, oiseau marin qui fréquente nos côtes, effectue chaque année un déplacement d’environ dix-huit mille kilomètres à l’aller et autant au retour. Sachant que cet oiseau a une espérance de vie de trente ans, c’est donc plus d’un million de kilomètres qu’elle aura parcourus au cours de sa vie.
Comment s’orientent les oiseaux sur de telles distances sans pour autant s’égarer ? Les différentes études ont démontré que ces derniers utilisent le système solaire, guidant leur vol par rapport à la position du soleil dans la journée, mais également le système stellaire, car bon nombre d’espèces migrent la nuit. Une molécule présente dans l’œil des oiseaux, particulièrement sensible à la lumière, facilite ainsi leur orientation. Mais, me direz-vous, lorsque le ciel est couvert ou le temps exécrable ? Certains préfèrent différer momentanément leur déplacement, mais les oiseaux disposent dans leur cerveau d’une « boussole interne » qui leur permet de se diriger par rapport au nord magnétique. Mais qui a bien pu inventer le GPS ??? Tout ceci allié à une mémoire visuelle des repères géographiques acquise en suivant les adultes et parents lors de leur première migration et qui permet à ces voyageurs de s’orienter sans peine.
Autre interrogation, quel est l’élément déclencheur de ces mouvements migratoires ? Suite aux différentes études menées sur le sujet, il appert que lorsque les organes sexuels des oiseaux augmentent ou diminuent de volume, selon le début ou la fin de la période de reproduction, ceci couplé à l’augmentation ou diminution de l’intensité de la lumière (durée du jour), la combinaison de ces deux phénomènes contribue à la pulsion migratoire vers le nord où le sud selon la saison.
Nous pouvons constater que le phénomène migratoire est bien plus complexe qu’il n’y paraît et que ces êtres qui nous paraissent bien fragiles sont en vérité bien plus solides que nous le pensons. Mais ne nous y trompons pas, bon nombre d’espèces sont menacées. Sur les deux cent soixante-dix-sept espèces nicheuses en France, soixante-treize sont menacées à des degrés divers. Les causes sont multiples telles que la disparition des zones humides et la fragmentation de leur habitat dues à l’urbanisation et à divers moyens de communication en expansion (routes, lignes ferroviaires…) mais aussi la monoculture, l’agriculture expansive, l’emploi de pesticides… A nous de réagir et trouver des solutions pour un juste équilibre afin que nous puissions toujours profiter du spectacle que nous offrent ces infatigables voyageurs.
Il ne vous reste qu’à patienter jusqu’en mars prochain et scruter attentivement le ciel pour voir le retour printanier de nos premières hirondelles sur lesquelles vous porterez dorénavant et à n’en pas douter, un regard différent. Quant à nous, il ne nous reste qu’à vous saluer et vous dire à bientôt peut-être pour d’autres rencontres côté nature.