En ce printemps 1960, l’effervescence règne dans le village. Il faut dire que dans quelques jours, on se rendra à la Fête Saint Martial ! Cette agitation qui accompagne plusieurs semaines de préparation est en soi un élément important de la manifestation.
Comment se déroulaient les fêtes de Vascœuil de naguère et comment ont-elles évolué dans le temps ?
Il est difficile de savoir à quand remonte la fête patronale Saint Martial de Vascœuil. Les archives sont muettes à ce sujet et les mémoires se sont taries. On peut, sans grand risque d’erreur, penser que cette fête existait déjà à l’époque moderne, en ces temps lointains des XVII et XVIII siècles au cours desquels la population se retrouvait unie dans la fête du saint éponyme de l’église. Le bâton portant la statue de Saint Martial est toujours en bonne place dans l’église de Vascœuil. Il devait être promené ce jour-là dans les rues du village en guise de protection de la communauté villageoise.
Dans les années 1930, la Saint Martial a déjà de l’allure. Le maire, Monsieur Liégault, industriel de l’Ile Dieu est aussi Président du Comité des Fêtes et de l’équipe de football ! Le jour de la Fête, les jeunes de cette équipe défilent dans les rues avec des lampions constitués de bougies insérées dans un carton, qu’ils appellent falot. Sur le terrain alloué à la fête, on organise des courses en sacs dans lesquelles les enfants du village excellent. Un peu plus loin, c’est la compétition entre brouettes avec, pour chacune, 5 passagers, c’est-à-dire 5 grenouilles qu’on a un mal fou à maintenir à bord ! Pendant la guerre, la fête disparaît provisoirement, les conditions se prêtant mal à ce type de manifestation.
Il faut attendre les années 50 pour qu’elle connaisse un renouveau sans précédent avec le rôle joué par Monsieur Claude Dubos, le grainetier du village, aidé en cela par Messieurs Langlois et Blondel. La graineterie a disparu, mais la maison et ses bâtiments occupent toujours une place stratégique au cœur du village, rue de la Gare.
Les chars, érigés à l’aide de remorques prêtées par les agriculteurs du coin et destinés au défilé, sont à l’époque entreposés chez notre grainetier, à la ferme de Bernard Gantier située dans la rue du même nom ou à la ferme Bordin, rue des Canadiens. C’est là qu’on organise le lent travail de fleurissement de ceux-ci avec des éléments en papier crépon. Beaucoup participent à l’opération comme ces femmes âgées qui passent de longues veillées à façonner les fleurs ou comme ces enfants de l’école qui sacrifient leur récréation pour réaliser le même travail. Quelques jours avant la fête, Monsieur Dubos offre les services de son camion. Il s’agit de faire de la publicité pour cet événement vascœuillais. On va ainsi jusqu’à 25 kilomètres à la ronde avec 10 à 12 personnes sur le plateau pour faire une démonstration des festivités à venir !
On sollicite les bonnes volontés de chacun pour donner à la fête une tournure plus attrayante encore. Ainsi, Monsieur Didier, qui habite au Mouchel, offre le feu d’artifice. Monsieur Delaporte prête un terrain situé près de la gare pour y loger les diverses activités de la manifestation. Quant à l’instituteur, Monsieur Léger, il prépare ses élèves aux futures festivités et les costume pour l’occasion. Sa femme passe de longues soirées à coudre et à apprêter les vêtements.
La veille de la fête, une retraite aux flambeaux menée par les jeunes et précédée par la fanfare de Vascœuil, traverse le village et s’arrête en face de chaque café, le temps de jouer une aubade.
Le jour de la fête, tout le monde est fin prêt. L’événement est d’abord marqué par la grande messe solennelle prêchée par l’abbé Aubry et dont la cérémonie religieuse se clôt par un concert de cors de chasse dont la puissance et la beauté font frissonner d’aise l’assistance.
Le majestueux défilé des chars fleuris tirés par des tracteurs déambule dans des rues noires de monde. De beaux clichés du début des années 60 nous ont laissé des témoignages vibrants de l’activité déployée. Certaines années, Monsieur Dubos fait même venir une troupe d’artistes de Belgique et ceux-ci animent les rues dans leurs costumes parés de clochettes.
Sur l’esplanade de la fête, les choses vont bon train aussi. Dans l’agitation qui règne sur place, les enfants courent d’un stand à l’autre. Côté manèges, le pousse-pousse constitue une attraction de poids avec ses sièges attachés à des chaînes. Les tirs forains sont évidemment de la partie et on peut aisément s’y livrer à cette activité prisée. Pour ceux que les armes n’attirent pas, il y a toujours moyen d’aller au chamboule tout pour y tirer dans des boîtes de conserve avec des balles en tissu. À quelques mètres de là, de belles balançoires aux formes de barque et aux couleurs passées s’élancent à l’assaut du ciel tandis qu’un forain se tient prêt, une manette à la main, à en freiner le long cours.
Le soir, le feu d’artifice est tiré du côté du château. Couronnement de la fête, il marque le commencement du bal. Pour cela, on a installé un plancher au sol et un petit orchestre est convié pour en animer les danses. Tous les jeunes des environs se sont donné rendez-vous pour l’événement. Une année, des blousons noirs de Darnétal sont venus à trois sur le dos d’un scooter pour participer à la fête. Autant dire que tout bal populaire digne de ce nom peut très vite se transformer en rixe organisée où l’on sort volontiers le poing. Mais ces échauffourées n’enlèvent rien au caractère attractif de ce moment fort de la fête.
Depuis cette époque « héroïque », les fêtes Saint Martial de Vascœuil ont poursuivi leur longue existence. Les Comités des fêtes qui se sont succédé ont, avec opiniâtreté, œuvré à leur maintien. Une traditionnelle coinchée se tient le vendredi soir, qui connaît un certain succès.
Le grand défilé des chars fleuris, dans les rues du village, a aussi longtemps animé la fête. Plusieurs tentatives ont cherché à en renouveler la formule. On pense, entre autres, aux vélos fleuris qui ont un temps animé nos rues. On se souvient aussi, il y a quelques années déjà, de ces artistes montés sur échasses qui ont surpris leur monde de toute leur hauteur. Faire appel à ces professionnels des arts du spectacle vivant est une initiative qui a rencontré une large adhésion dans le public.
Sur le nouvel espace réservé à la fête, celle-ci ayant été déplacée sur le terrain de la salle Delaporte au début des années 80, les choses ont aussi longtemps poursuivi leur cours. Les autos tamponneuses, symbole de liens de sociabilité forts, ont, des années durant, marqué de leur présence la manifestation. De même les stands tenus par les forains, patronnés par la famille Castel, ont chaque année été au rendez-vous des festivités.
Autre initiative heureuse, une foire à tout a été créée. Elle a pour effet d’attirer de nombreuses personnes qui viennent grossir la foule des Vascœuillais. Chacun déballe sa marchandise et profite de courts répits laissés par la vente, pour aller faire un tour sur l’esplanade.
Point d’orgue de la Fête, le bal du samedi soir est toujours là. Et s’il est loin le temps des rixes avec les gars des villages voisins, le plaisir de danser reste bien intact. Le charme désuet de cette manifestation n’est d’ailleurs pas pour déplaire aux gens en quête d’authenticité. On se prend à aimer danser au son de l’accordéon ou du bal musette.
Aujourd’hui, la Saint Martial est à la croisée des chemins. Les règles de plus en plus contraignantes concernant la sécurité des personnes, la difficulté de dénicher majorettes et fanfares à des prix abordables, la volonté de trouver de nouvelles formes d’organisation de la manifestation cadrant mieux avec les évolutions actuelles des liens de sociabilité, ont conduit à supprimer le grand défilé. Autre signe des temps, les autos tamponneuses sont parties poursuivre leur longue existence sous d’autres cieux. On raconte que le manège a été vendu aux Etats-Unis où il est allé témoigner de l’esprit des fêtes françaises passées ! La fête, elle, est restée pour le plus grand bonheur de tous.
Dans quelques jours, la fête Saint Martial battra de nouveau son plein. On lui souhaite longue vie. Témoignage de son époque, elle a été marquée par de sensibles évolutions depuis 40 ans. Le village des années 50 et 60, fort de ses liens de sociabilité et de son sentiment d’exister en tant qu’entité a fait place à un Vascœuil beaucoup plus ouvert sur le monde, en prise avec son temps. Une fête Saint Martial revisitée sera, on l’espère, le témoin indéfectible de sensibilités renouvelées.
Jean-Joseph Le Brozec
Toute ma gratitude va à Mme et M. Allard,
Mme et M. Jean Grout,
Mme et M. Noël Grout, Mme et M. Mancelle
et M. Perdoux.
Qu’ils soient grandement remerciés pour l’aide apportée.